NICK ZEDD
1. Présente-toi en quelques
lignes.
Nick
Zedd, réalisateur.
2. Pourquoi
crois-tu que le cinéma de la transgression et la No Wave soient nés à New York,
plutôt qu’ailleurs, à cette période plutôt qu’à une autre?
D'abord,
parce que j'étais là. Ayant l’âge que j’avais à cet endroit et à ce moment-là, j’ai grandi
avec les mêmes influences que d’autres gens qui vivaient aussi dans le coin. Nous partagions un besoin de nous extirper de
ce climat étouffant de conformité et d’autosatisfaction, qui régnait en maître
depuis que les changements culturels des années 60 s’étaient figés en une masse
envahissante, omniprésente. Aux Etats-Unis, les baby-boomers contrôlaient
l’industrie du divertissement et des medias de masse à tous les niveaux, et
cette supercherie culturelle était massivement approuvée.
New
York City fut assailli par un malaise de complaisance, du moins concernant la
culture des jeunes. Sortir de cela et affirmer les individualités de chacun en
termes de style vestimentaire et de style de vie, c'était prendre sa vie en
main. Il y avait une violente opposition à ceux d'entre nous qui paraissaient
et agissaient différemment. Des gens qui te jetaient des cailloux et
t'agressaient parce que tu avais l'air différent. Tout à coup le
monde était devenu un endroit dangereux, une autre dimension, dont la fin était
proche.
La vie
semblait apocalyptique.
Plutôt
que de regarder en arrière, ce que font la plupart des jeunes aujourd'hui, c’était
comme si on avait fait table rase du passé, pour ceux qui, comme moi,
rejetaient les normes en vigueur et embrassaient une forme de communication
abrasive et immédiate, qui ne faisait aucune concession par rapport à la
réalité consensuelle. L'expérimentation était le moyen de découvrir les choses.
Le
Cinéma de la transgression est un terme que j'ai inventé pour traduire l'idée
d'un mouvement, qui s'emparait de l'imagination des marginaux, cherchant un
point sur lequel se concentrer.
Une
fois que quelques réalisateurs de films en Super-8 s'étaient présentés, avec
des courts-métrages directs et pénétrants similaires aux miens, nous avions une
scène. Le monde extérieur ne comptait plus. Nous
avions créé notre propre monde. Les loyers bon marché et la réduction du coût
de la vie ont rendu cela possible.
La culture dominante, distraite par son propre
narcissisme, nous avait permis de grandir entre les fissures de son hermétisme
à la rébellion. Nous voulions juste nous amuser un peu dans un monde qui
ne promouvait que l’ennui.
3. Raconte-nous
l’histoire du Cinéma de la transgression : comment ça a commencé? Qui étaient
les figures de proue du mouvement? Quels
étaient vos buts, vos aspirations? De qui votre public était-il composé? Quels étaient les liens entre le Cinéma de la
transgression et la scène No Wave?
Ca a
commencé lorsque j'ai inventé le terme en 1979, puis quand j'ai fait quelques
films et attendu que quelqu'un qui
veuille bien faire quelque chose de subversif les montre. C'est arrivé en 1984,
quand Richard Kern, Tommy Turncoat, Casandra Stark et Lung Leg ont réalisé des
films comme les miens. En 1980, j'ai organisé une nuit de projections, parmi
lesquelles un film de Manuel De Landa, qui m'a par la suite fait voir plusieurs
autres films qui collaient à notre vision des choses.
Je ne
peux pas parler de ce qu'étaient nos objectifs et nos aspirations à part de
nous amuser. Ce n'était pas si planifié. C'est seulement arrivé. Notre public était composé de qui voulait
bien se pointer dans les endroits indiqués sur les posters que nous avions
collés dans tout le quartier.
Les
films étaient montrés dans des friches artistiques, des clubs, des galeries et
des bars du coin, dans des salles de projection alternatives et des cinémas.
Une
fois, au parc de Tompkins Square j'ai projeté des films sur un kiosque à
musique. Pendant un moment j’ai aussi projeté depuis la fenêtre d'un bar de
l'avenue A, situé au deuxième étage, sur le mur d'un immeuble qui traversait la
rue.
Les liens entretenus entres les
scènes étaient des amants partagés, des musiciens qui apparaissaient dans nos films
(certains issus de la soi-disant scène No Wave, qui ne dura guère longtemps.)
Lydia Lunch était ma petite-amie
en 1983, à l’époque où nous avons fait un film ensemble. C’était après qu’elle
ait eu une liaison avec Thurston Moore qui, plus tard, a composé de la musique
pour Kern et moi-même.
Une réalisatrice appelée Beth B.
était la petite-amie de Kern avant qu’elle ne sorte avec moi. Puis je l’ai
interviewée, elle et Scott B., pour le premier numéro de mon magazine The
Underground Film Bulletin, dans lequel j’ai publié le Manifeste du Cinéma de la
Transgression et qui a couvert l’explosion émergente du Super-8 en 9 numéros
sur les 6 années qui suivirent.
C’étaient les films, la musique et
l’art les plus extrêmes qui m’intéressaient, comme ce que je faisais.
4. Comment t’es-tu débrouillé pour
faire des films, des années durant, en marge de l’industrie? Quel était ton
“modèle économique”?
J’empruntais le matériel, les
comédiens et l’équipe, utilisant ce qui était disponible. Je n’avais pas de
modèle économique. Nous étions comme des dealers, venant satisfaire des besoins
immédiats. Nous n’avions pas de sponsor ou de mécène. Aucune institution
gouvernementale ou investisseur n’a jamais levé le petit doigt pour nous aider.
J’étais mon propre patron.
5. 30 ans plus tard, nous sommes
tous connectés à Internet. Penses-tu que c’est une bonne opportunité pour le cinéma
underground ou, qu’au contraire, cela pourrait le tuer, rendant les choses trop
accessibles?
Ca l’a tué. Tu dois avoir un
public face à toi, et interagir avec de vraies personnes à chaque fois qu’il se
passe quelque chose de nouveau. Les gens doivent se bouger le cul et quitter
leurs appartements pour voir des films underground. Ce n’est pas pareil sur un
écran d’ordinateur.
Mais, aujourd’hui comme il y a 30
ans, tout le monde d’en fout. Underground signifie caché, en opposition à ce
que les masses peuvent voir.
Il faut qu’il y ait un élément de
danger, et ça n’arrive que si tu paies ton ticket et que tu es là en chair et
en os.
6. Tu vis à Mexico aujourd’hui.
Pourquoi as-tu choisi ce pays, cette ville? Que peux-tu nous dire à propos de
la vie là-bas, en prenant en considération le contexte social, économique et
politique? Ca fait quoi d’être Américain dans un pays où on n’aime pas tellement
les gringos? Et que peux-tu nous dire
de la manière dont est perçu ton art à Mexico, dans quelle mesure est-ce différent
des Etats-Unis et de New York?
Mexico semble plus humaine, à plus
petite échelle. Cette ville me paraît être une bonne alternative à la
gentrification et l’hypocrisie caractéristiques de ce qu’est devenue NYC. Je ne
suis pas là depuis assez longtemps pour établir la moindre conclusion. J’ai
toujours été un marginal, partout où j’ai vécu. Je me sens davantage chez moi à
Mexico. Venir des Etats-Unis signifie être un étranger ici. Peut-être vais-je
changer, et devenir mexicain ? Lorsque j’ai montré mes films ici en août
(ndlr : août 2011), le public a formé une file d’attente après la
projection pour me demander des autographes et être pris en photo avec moi,
alors peut-être que j’ai ma chance ici.
Lorsque que j’ai joué un DJ set et
fait une nuit de projections multiples dans une église qui avait brûlé, la
foule applaudissait et dansait, ça m’a donné espoir. Je me sens un peu isolé
étant donné que je ne parle pas espagnol, mais il y a un sentiment plus léger,
qui est tout nouveau pour moi après 35 ans de marginalité à NYC. Il y a
probablement autant de stress ici, mais il est différent. Maintenant, je suis
un innocent, alors c’est tout nouveau. Il y a eu un tremblement de terre avec
une coupure d’électricité de deux heures l’autre nuit. Sentir la terre qui
bouge sous tes pieds est déstabilisant.
A NYC, nous avions une coupure géante
en 2003, donc je connaissais déjà.
L’état-policier me paraît plus
bénin ici, sans doute parce que je n’attends plus rien.
7. Parle-nous de ton travail de
peintre et des films que tu tournes aujourd’hui.
Mes peintures sont faites sur des
canevas ronds, elles sont très extrêmes et dérangeantes. Les humains ne savent
pas comment les appréhender. Personne n’a jamais vu ça. J’ai tourné une poignée de vidéos reliant ces
peintures au monde Mexicain dans lequel je vis aujourd’hui, de façon à montrer
cette bizarrerie à laquelle la plupart gens ne font plus attention…
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