LE CINEMA LOW-BUDGET



D’après un mémoire universitaire écrit en 2012, revisité afin d’être moins académico-centré et complaisant (donc moins chiant).

INTRODUCTION A L'INTRODUCTION

Prenons en considération le cadre dans lequel a été réalisée cette étude: l'université. 
Issue d'un master professionnel, j'avais pour obligation d'écrire quelque chose qui soit intéressant pour le secteur pro, en d'autres termes, qui puisse éventuellement être utilisé par ce dernier pour perpétrer la tradition de marchandisation du "bien cinématographique", en développant des concepts trop obscurs pour le milieu, histoire de lui rafraîchir un peu les idées via une perspective amenée par le "sang neuf" que représente l'étudiant en cinéma. 
Aussi, la plupart de ce que vous allez lire ici est basé sur différents ouvrages ou contenus webographiques (dont la liste est détaillée dans la partie "SOURCES" de ce blog) que j'ai épluché des mois durant afin d'en tirer quelque chose d'intéressant, à la fois pour moi, et pour l'université. Et, bien loin de l'utopie d'un cinéma auto-produit, libre, et dégagé de toute logique commerciale, il s'agit là de l'étude d'un cinéma en marge de la grosse vilaine industrie produisant en masse, mais n'ayant pas moins pour vocation de ramener un peu de blé et de notoriété à ses auteurs. Ce modèle de production est néanmoins captivant, et j'ose espérer que les quelques références et interrogations faites ici peuvent amener par la suite à d'autres façons plus "extrêmes" de penser le cinéma...

(PARDON pour la mise en page, Blogger en chie un peu avec les pavés de textes.)


INTRODUCTION

DE L'ETUDE DES "MONDES DE L'ART" A CELLE DU "CINEMA PAUVRE"


Howard Becker décrit le monde de l’art comme un « réseau de tous ceux dont les activités, coordonnées grâce à une connaissance commune des moyens conventionnels de travail, concourent à la production d’œuvres » - qui appelle donc différents acteurs à coopérer selon certaines procédures conventionnelles en vue de «la production, la diffusion, la consommation, l'homologation esthétique et l'évaluation » des œuvres. Je vais d’abord décrire les différents acteurs concourant à la création cinématographique et leur organisation lors de chacune des étapes de la production, rejoignant ainsi l’idée selon laquelle le cinéma est bel et bien un monde de l’art.

L’auteur distingue au sein des mondes de l’art les innovateurs et les francs tireurs. Ces derniers y occupent une place très importante, consistant à toujours maintenir les innovateurs à l’écart afin de ne pas voir leurs conventions bouleversées. Ce sont ici les majors qui font office de francs tireurs du secteur cinématographique, et qui assurent la conservation de leur position en maintenant le cinéma grand public dans une dépendance à la logique comptable, ne permettant alors pas aux indépendants – et donc à la production low-budget – de faire véritablement partie de leur monde de l’art, entraînant par là une bipolarisation du secteur. Ou, dès lors qu’ils s’ouvrent à l’innovation, c’est pour se l’approprier, la transformant en nouvelle convention : le cinéma d’auteur finit par être contrôlé par les majors, perd son statut de « marginal », et bien souvent, de sa singularité.
Becker affirme que le fonctionnement propre à un monde l’art exerce directement son empire sur la forme et sur le contenu des œuvres produites. Je montrerai alors comment le modèle dominant – celui du cinéma mainstream - influe sur les films mais surtout comment il provoque leur standardisation.

Quelles sont les possibilités de développement pour les acteurs du cinéma low-budget ? Quelles sont les structures qui permettent à ce dernier d’exister et de produire ? Je me pencherai sur la place que tient la technologie numérique au sein de ce modèle. A ce propos, Howard Becker soutient qu’un monde de l’art peut voir le jour grâce à une évolution technologique : ainsi, il convient de se demander si le numérique ne tendrait pas à segmenter le « monde du cinéma », ou même à créer un nouveau monde, opposant le modèle courant à un modèle alternatif.

Je vais ensuite exposer l’impact du modèle low-budget sur les œuvres cinématographiques produites, et à travers cela, dans quelles mesures ses acteurs occupent la place d’innovateurs. Nous verrons ainsi comment la contrainte économique peut se révéler être un espace de liberté pour la création, et quel est son retentissement sur le fond et sur la forme des films. A noter que le low-budget, de par sa condition même d’économie du minimum, ne permet pas les mêmes possibilités, notamment en terme de « spectacle » que le cinéma à gros budget, mais nous verrons alors que, comme Becker le fait remarquer, les novateurs sont souvent prêts à abandonner l’essentiel exigé par le monde de l’art conventionnel pour se consacrer exclusivement aux possibilités offerte par l’innovation.

Enfin, je me pencherai sur les nouvelles pratiques engendrées par le modèle étudié. Becker observe que certains mondes de l’art se développent autour de nouveaux canaux de distribution, et d’un nouveau public. Ainsi, nous allons voir que s’établissent effectivement, en aval de la production, d’autres manières de distribuer les films mais aussi de les consommer, et qu’apparaissent avec cela de nouveaux rôles et de nouvelles responsabilités pour ses acteurs, et un nouveau public. 



ORGANISATION DU SECTEUR CINEMATOGRAPHIQUE




LA CHAINE DE PRODUCTION D’UN FILM ET SES ACTEURS




Afin de définir au mieux le modèle organisationnel du cinéma, il revient dans un premier temps d’en analyser chaque étape depuis la conception jusqu’à la diffusion et l’édition, de se pencher sur le rôle de chacun des acteurs de cette chaîne, afin d’en comprendre les rouages et de voir en quoi son fonctionnement est à la fois similaire à celle de n’importe quel produit de consommation mais également très spécifique.



A noter que schéma proposé ici est applicable uniquement au cinéma mainstream et aux productions indépendantes à budgets importants, car il s’agit de celui qui est le plus couramment rencontré.

Regard général sur le secteur

Contrairement à la littérature où à la peinture, qui peut aisément n’être le fruit de l’initiative que d’une seule personne et de fonds limités − du moins à l’étape de la création − le cinéma est une machine complexe: de nombreuses ramifications s’étendent et se croisent autour d’un élément central, le film, toujours assurées par d’importants moyens financiers.
Comme bon nombre de produits de grande consommation, le secteur cinématographique a adopté les rouages du modèle industriel, de la conception à la distribution. Si ce dernier reste un objet culturel, donc bien différent d’un meuble Ikea, il n’en a pas moins suivi la même logique organisationnelle sur nombre de points. Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui, en plein dans l’ère du « capitalisme culturel », qui, selon l’économiste Jeremy Rifkin, est le « stade suprême de la civilisation capitaliste », reposant sur la marchandisation d’expériences culturelles. La double définition d’ « art industriel » qui caractérise généralement le cinéma prend alors toute sa signification.

Différents acteurs interviennent dans la chaîne cinématographique, de la pré- production à l’édition DVD. Chacun d’eux tient un rôle déterminé et précis, duquel il ne s’éloigne pas, assurant ainsi des compétences optimales dans son domaine.

En effet, pour reprendre l’exemple du meuble, pour lequel un designer va s’atteler à la conception d’un objet, au stade embryonnaire (plans, croquis), la production d’un film débutera de la même manière, par l’élaboration d’un scénario à partir d’une idée. Et ainsi de suite pour chaque étape : le réalisateur, tout comme l’ouvrier-menuisier en charge de la fabrication de l’objet, s’attelle à a fabrication du film, le producteur, comme le contremaître, s’assure du bon déroulement de sa fabrication, etc.
La vie d’un film est donc constituée de plusieurs étapes auxquelles sont rattachés différents acteurs, que l’on peut classer chronologiquement en quatre « grandes » catégories :
-  la conception
-  la production
- la distribution
-  la diffusion et l’édition 


La conception

La première étape de la vie d’un film est bien entendu celle au cours de laquelle il va voir le jour, et passer progressivement de l’idée au scénario prêt à être tourné. Cette étape pourrait elle-même être divisée en plusieurs, mais le choix délibéré de traiter ensemble toutes les phases qui se font écho lors de la conception a pour but d’en simplifier l’analyse et donc par la suite, de faciliter la compréhension du modèle. 
La conception d’un film repose souvent sur l’initiative d’une, parfois plusieurs personnes que j’appellerai ici le ou les concepteurs, souvent réalisateur ou scénariste, parfois les deux, parfois même quelqu’un n’ayant pas vraiment encore un « pied » dans le secteur du cinéma. 
De l’esprit du concepteur jaillit une idée qui peut n’en être qu’à ses premiers balbutiements, une histoire à raconter encore au stade embryonnaire, et avec elle naît l’envie de faire un film.

C’est le premier pas, le point fondamental de départ, décisif dans tout le reste du processus : il n’y a pas de (bon) film sans une (bonne) idée à la base.
Cette dernière doit ensuite être développée, afin d’aboutir à une version scénarisée du projet.
L’étape du développement est cruciale, dans la mesure où l’objet qui en aboutira sera le tout premier document de référence à partir duquel le film sera fabriqué. Le concepteur fait alors appel à un scénariste, s’il ne l’est pas lui-même, afin d’entamer l’écriture.
Idéalement, un trio scénariste-concepteur/réalisateur/producteur est déjà constitué lors de cette phase, travaillant de concert sur le développement du projet ; idéalement, parce que ce n’est que très rarement le cas. En effet, la plupart du temps, c’est la version finale d’un scénario qui est envoyée au producteur et qui prend alors "seulement" la responsabilité (et non l’initiative) – juridique et financière - de faire le film. Le cas échéant, de multiples réécritures peuvent être exigées, afin que le scénario écrit en amont convienne à ce dernier.
Une fois arrivés à une version satisfaisante pour toutes les parties – bien que le concepteur soit bien souvent soumis à des compromissions auxquelles il ne dérogera pas car il veut que son film se fasse - vient le moment de faire le choix du réalisateur.
Ce schéma n’est évidemment pas un schéma arrêté, car de nombreux cas de figure sont possibles, je fais plutôt ici état du déroulement couramment rencontré.

La recherche de financements a souvent lieu à ce stade, alors que le trio est à même de présenter un projet solide aux collectivités octroyant des subventions pour le cinéma – SOFICA, régions concernées, etc. – ou à d’éventuels coproducteurs, parfois eux-mêmes diffuseurs (chaînes de télévision).

La production

L’étape de la production correspond à la fabrication technique du film.
Il s’agit tout d’abord de rassembler les ressources humaines et matérielles nécessaires, en amont du tournage. C’est généralement le réalisateur qui fait le choix à la fois d’une grande partie de l’équipe technique et artistique, ainsi que de l’équipement de prise de vue, de prise de son, etc. Il revient ensuite à la société de production – ou aux sociétés de production – de venir puiser dans la liste de techniciens avec qui ils travaillent ou souhaitent travailler afin de compléter les équipes, et de se procurer le matériel, parfois en provenance leur propre parc, bien souvent à la location.

Un calendrier est établi pour toute la période du tournage, une feuille de service est constituée pour chaque journée, d’après le découpage technique du scénario.
Le tournage peut alors débuter, dirigé par le réalisateur, lui-même encadré par le ou les producteurs assurant la coordination des équipes, le respect des délais ainsi que des aspects juridiques et financiers. Ces responsabilités peuvent être partagées entre deux producteurs distincts : le délégué, responsable juridique et financier et détenteur des droits sur le film, et l’exécutif, chargé d’en assurer la fabrication technique.
Cette étape de la production, parce qu’elle se déroule sur le terrain et demande des moyens humains importants, parce qu’elle est soumise aux aléas de la météorologie ou simplement aux imprévus de toutes sortes, peut, pour un long métrage, durer plusieurs mois. Aussi, le tournage est souvent une étape très onéreuse.

Une fois les images et le son « mis en boîte » vient le moment de la post-production, qui sera décisif dans la finalisation du film. Montage, étalonnage, effets spéciaux, générique, sans lesquels le film n’existe pas en tant que tel, encore au stade d’images brutes.
La « post-prod » peut elle aussi durer des mois, notamment concernant les films pour lesquels beaucoup d’effets spéciaux sont nécessaires.
Le film achevé, physiquement matérialisé et reproductible, il doit maintenant être vu, et pour ce faire, l’intervention d’un distributeur est quasi-systématique.

La distribution

La fonction première du distributeur est celui d’intermédiaire entre le producteur et l’exploitant, soit le dirigeant d’une salle de cinéma. Bien souvent, ce sont des structures différentes qui assurent la distribution sur différents territoires. Il est possible que le
producteur endosse lui-même le rôle de distributeur, mais le cas est plus fréquent pour les courts métrages que pour les longs.

Il revient donc au distributeur d’approvisionner les salles de cinéma en films, de décider du nombre de copies qui doit être fait de ceux qu’il distribue ainsi que d’en assumer financièrement toute la promotion, leur assurant une visibilité optimale pour la sortie, et donc la maximisation des recettes.

Il établit dans un premier temps une estimation des recettes que peut réaliser le film, et paye le producteur sur une part de ces recettes anticipées. Ainsi, il acquiert des droits limités sur le film, approvisionne les salles et se rémunère à son tour. Dans le cas où le film n’atteint pas les résultats escomptés, il peut réclamer son dû, soit une partie de la somme qu’il avait préalablement payée, auprès du producteur.
Dans certains cas, il dispose également des droits de diffusion télévisuelle (chaînes et video on demand) et internet.
Quoi qu’il advienne, il se doit de respecter la chronologie des medias.
Le distributeur peut soit être affilié à un grand groupe (ou major), souvent présent à l’international comme EuropaCorp ou Time Warner, soit à une chaîne de télévision comme TF1 avec TFM Distribution, soit être indépendant, le plus souvent rejoint par d’autres sociétés indépendantes sous forme de syndicat, comme le SDI, Syndicat des Distributeurs Indépendants.

La diffusion et l’édition

Avant l’édition home video, la diffusion est la dernière étape de la vie du film.
Avec le distributeur, les exploitants de salles de cinéma ont donc négocié un contrat de location du film, qui leur autorise la diffusion pour une durée et un nombre de projections limités. Les recettes dont bénéficie l’exploitant correspondent alors aux entrées des spectateurs, parfois aux espaces publicitaires vendus.

La chronologie des medias définit dans quel ordre, à la fois géographique et temporel, un contenu cinématographique va être exploité, et la durée au cours de laquelle il le sera, soit où, à quel moment et combien de temps il sera diffusé en salle, puis édité en DVD, Blu-ray, etc.

Respectant la chronologie des medias, c’est dans les salles obscures que le film rencontre son public pour la première fois. En effet, il faut d’abord qu’il assure des recettes auprès des exploitants - qui disposent alors d’une sorte « d’exclusivité » - avant l’édition vidéo (DVD, Blu-ray, etc.) qui aura lieu quelques mois plus tard et à grande échelle.
Le producteur étant le détenteur absolu des droits sur le films, c’est à lui que revient le choix de l’éditeur ou de la plateforme de video on demand.
Suite à l’édition, vient le tour de la diffusion à la télévision, souvent sur les chaînes cryptées d’abord, puis sur les chaînes en clair, sauf exceptions : lors d’une co-production entre la société de production à l’initiative du film et une chaîne de télévision, cette dernière peut demander - et demande quasi-systématiquement - à disposer d’une exclusivité sur la diffusion télévisuelle, soit d’être la première à avoir le droit d’y diffuser le film.



LES GRANDS CONTRE LES PETITS



Il ne s’agit pas ici de faire le procès des blockbusters mais plutôt de montrer l’impact que ces derniers ont sur le secteur cinématographique à l’international.

Dépendance à la logique comptable

Le cinéma est prisonnier de sa propre condition : en tant qu’art, il se doit d’être inventif, en tant qu’industrie, il se doit d’être rentable. Et face aux sommes colossales que différents investisseurs y déversent, c’est la logique industrielle, et non la logique artistique, qui prime. Un réalisme pécuniaire duquel il semble aujourd’hui impossible de se détacher pour avoir du succès, tant il est entré dans les mœurs cinématographiques.
Les films ne sont désormais plus, à quelques exceptions près, basés sur la vision singulière de leur(s) créateur(s), mais sur des analyses de marchés, comme le serait tout aussi bien la mise en rayon d’un nouveau pot de yaourt.
Avec cela, de nouvelles pratiques font surface, comme le slate deal ou slate financing : des investissements massifs sont réalisés sur un « lot » de films aux genres et aux budgets différents, afin de réduire les risques – en les répartissant – et ainsi maximiser les profits. Le procédé est déjà courant depuis quelques années aux Etats-Unis, Hollywood acceptant volontiers les apports numéraires octroyés par les traders de Wall Street, comme Ryan Kavanaugh qui via sa société Relativity Media a pour un moment tenu le rôle d’entremetteur entre investisseurs et majors, avant de lancer sa propre société de production de films.

Le slate deal arrive progressivement en France, avec notamment Studio Canal, qui en 2011, s’est rattaché à un fond d’investissement international via Anton Capital Entertainment, qui lui assure alors une participation de 30% sur chaque film produit et ce pour une centaine de films sur une période de trois ans, soit environ 150 millions d’euros. Studio Canal espère ainsi pouvoir rivaliser avec les majors américaines, tout en prenant moins de risques d’endettement.

Ainsi, parce que le cinéma coûte cher, il doit rapporter gros, et on investit encore et toujours plus, pour en assurer la rentabilité : promotion du film dans tous les medias des mois avant sa sortie, tête d’affiche tenue par des vedettes qui plaisent à tous mais qui demandent à être payées des millions... Evidemment, ces pratiques sont tout sauf vaines, car face à la multiplicité des sorties au même moment, le public a toujours tendance à se tourner vers le film dont il a le plus entendu parler, ou celui dont il reconnaît l’acteur principal. Et ainsi continue ce jeu sans fin, laissant sur le bord de la route les compagnies n’ayant pas les moyens de défendre la partie.


Bipolarisation du secteur

Découlant tout droit de cette dépendance financière, c’est la « logique du casino » dans les salles obscures – et également en aval, au moment le la distribution vidéo.
En effet, le nombre de films à gros budget et à petit budget ne cesse d’augmenter, et c’est l’embouteillage chaque mercredi : les joueurs multiplient les mises, mais il n’en ressort que très peu de gagnants.
En 2002 en France, sur 163 longs métrages, 26 ont coûté plus de 7 millions d’euros et ont ramassé 50 % des investissements, et par conséquent la majeure partie des recettes. Pour les autres, films à moyen et petit budget, souvent sous-financés, il ne restait que les miettes à partager.
Ces chiffres sont certes datés, mais ils n’en sont pas moins parlants. On notera que l’année passée, le cinéma français s’est également très bien porté, avec de gros succès prêts à faire pâlir les productions hollywoodiennes, comme « Intouchables », qui a réalisé les plus gros score de l’année et même parmi ceux de l’histoire du cinéma en France (derrière « Titanic » et «Bienvenue chez les Chtis») avec 19385300 entrées, mais également un budget presque 10 000 000 d’euros. Pour 2012, c’est « Sur la piste du Marsupilami » d’Alain Chabat qui est en tête pour l’instant, et dont le budget est de 40 000 000 d’euros.

Le cinéma est alors scindé en deux: d’un côté les films riches, qui rapportent, et de l’autre les films pauvres, qui ne font que très peu de recettes. A la fois cause et effet, la bipolarisation du cinéma entretient des rapports de force liés à l’économie au sein du secteur.
A l’international, Hollywood domine toujours, pratiquant un certain monopole : les majors contrôlent également des compagnies dites indépendantes afin d’occuper les niches, parallèlement au cinéma de masse, comme Time Warner avec sa filiale Fine Line Feature. Ainsi, le block booking, bien qu’illégal, est présent quand même : si les « grands» ont aussi les « petits » sous leur coupe, quelle place reste-t-il pour les « vrais indépendants » ? Comment l’exploitant d’une salle qui doit le faire vivre peut-il programmer des œuvres dont personne n’a entendu parler alors qu’un large éventail de films au succès garanti par un marketing préalable de choc lui est proposé ? Il va là où les recettes lui permettront de continuer à faire tourner la boutique, et quand bien même par amour du 7ème art il décide de diffuser des « petits », il n’en garde pas moins une place bien au chaud pour les blockbusters, attirant plus facilement le public.
La puissance financière des grands studios garantit donc leur hégémonie sur le secteur. Assurant par là le rôle de francs tireurs, ils veillent à conserver leur position de force en maintenant les « petits » dans une situation de faiblesse, pour ne pas voir leur « monde de l’art » bouleversé, et leur pouvoir amoindri.


Uniformisation des œuvres

La dépendance du cinéma à l’argent finit alors par imposer un modèle, un schéma qui va être exploité à répétition : lorsque l’on a trouvé les bons ingrédients menant à la réussite, on ne change pas la recette du cocktail.
Les expérimentations sont alors mises de côté au profit d’une formule magique visant à assurer le maximum de rentabilité des films. Bien que cette standardisation des «œuvres» - peut-on encore employer ce terme ? – semble ne concerner que les films à gros budget de par leur obligation de réussite, elle n’en a pas moins d’impact sur le cinéma plus pauvre qui, s’il ne s’y plie pas, n’obtient pas les faveurs d’un public important.

Pour aller vers un « bon produit de culture populaire », le cinéma se base sur un savant mélange d’amour, de sexe, de beauté et de violence, toujours empreints de valeurs morales plus ou moins dissimulées : le bien finit toujours par triompher du mal.
La narration est souvent simple, et lorsqu’elle est complexe, c’est pour encore mieux attiser la curiosité, amener le spectateur à se plonger corps et âme dans l’intrigue afin d’en déceler le mystère. A titre d’exemple, « Matrix », qui a alors pu exploiter une multitudes de compléments au film comme le web, les séries, les jeux vidéos, etc.
Exception faite des films de genre (science-fiction, horreur, etc.), qui répondent à des codes spécifiques mais pas moins stéréotypés, le cinéma grand public repose sur des décors, des personnages et un déroulement d’actions recevables par tous les publics, socialement, culturellement et géographiquement.
Cette « cuisine universelle» permet à chaque spectateur, quelles que soient ses origines, son niveau de vie, ou même ses convictions religieuses de se retrouver dans le film, de s’y identifier. Le mise en avant de stars vient renforcer cette identification: souvent divinisées, ces dernières fixent à la fois les critères universels de la beauté et ceux de l’épanouissement personnel, et c’est tout naturellement que la foule s’empresse d’aller entretenir son adoration pour elles, regardant leurs films et rêvant secrètement de ressembler à la fois à ces modèles de réussite sociale, mais aussi aux héros qu’elles incarnent. La preuve en est que dès qu’une de ces vedettes commet une erreur dans le «monde réel», le cinéma lui tourne rapidement le dos, comme avec Mel Gibson qui, après plusieurs scandales liés à nombre de propos racistes et autres prétendus problèmes d’alcoolisme, voit les grands studios lui fermer leurs portes.
Les films tendent alors de plus en plus à l’uniformisation : dès lors qu’on a trouvé le dénominateur commun qui viendra satisfaire le plus grand nombre, on n’y déroge plus.


MONTER UN PROJET LOW-BUDGET



QUELLES STRUCTURES ?

Créer sa société de production : l’exemple français de Supernova Expérience #1

« Pendant longtemps, je me suis perdu dans un système de production classique, or les films que je veux faire ne sont pas classiques. Il ne faut donc pas essayer de séduire ce système de production. »
Mettre de côté ses ambitions en allant vers un consensus thématique et esthétique, ou envoyer chier les institutions culturelles pour pouvoir travailler librement? C’est le dilemme auquel doivent faire face nombre de réalisateurs dont la démarche est trop « particulière ».

En créant sa propre société de production, il devient possible de revendiquer farouchement son indépendance, de ne pas accepter les compromis ni la collaboration avec des partenaires qui, s’ils pourraient contribuer financièrement au travail du trio scénariste / réalisateur / producteur, chercheraient également satisfaction personnelle et retour sur investissements, modifiant ainsi leur vision artistique.

Une structure légale peut voir le jour alors, au contraire du modèle de l’autoproduction, créant par là une interface de responsabilité juridique et financière, et ainsi la possibilité de recevoir d’éventuelles subventions.
A mi-chemin entre DIY et système de production classique engageant de nombreux collaborateurs, faire un film via sa propre société de production laisse entrevoir une ouverture.
Pour illustrer ceci, je vais prendre l’exemple du film français «Supernova Expérience #1», réalisé par Pierre Vinour et sorti en 2003.

Lou Films voit d’abord le jour sous forme d’entreprise en nom propre, avant de devenir une SARL qui vise à produire avec très peu de moyens (pas d’aide du CNC, ni de pré-achat) les propres courts métrages de Pierre Vinour.
En 1998, ce dernier s’associe à Valérie Boucher (scénariste et réalisatrice) et à Pascal Miezsala (scénariste) et fonde Les Enragés, pour la production de courts et longs métrages, et de projets d’art vidéo et multimédia. C’est avec Les Enragés que naît le projet de «Supernova Expérience #1», premier long métrage de Pierre Vinour.
Après un refus de l’Avance sur recettes de la part du CNC, le réalisateur, épaulé par une équipe réduite mais très motivée, décide que le film se fera, et ce même avec un budget de quasi zéro.
Ainsi, il suffit d’une vingtaine de jours de tournage, de 5 personnes à la technique et à la production, et d’un « prix de qualité » octroyé par le CNC en aval du tournage pour que « Supernova Expérience #1 » voit le jour, pour un budget total de 12 000 €.

Pierre Vinour fut libre de mener son projet comme il l’entendait, de bout en bout. Le film fut salué par certains critiques, mais diffusé à une échelle très réduite. Pourtant, il n’en constitue pas moins la preuve que la création cinématographique peut s’affranchir des pressions externes liées à l’argent et à la satisfaction de toutes les parties, indépendante des circuits traditionnels dans lesquels on l’enferme couramment. Il fut également une expérience enrichissante pour les films des Enragés à venir, comme «Magma», long métrage de 2010.

Financer la création low-budget : l’exemple belge de Cinéastes Associés

Cinéastes Associés naît face à l’évidence d’une double nécessité pour le cinéma : d’une part, les réalisateurs doivent toujours plus tourner, car pour progresser, ils doivent pratiquer; d’autre part, il est vital d’assurer la diversité au sein du paysage cinématographique, à l’heure où nous tendons de plus en plus vers un formatage de la culture.
Depuis «C’est arrivé près de chez vous», une sorte de tradition a pris place chez les cinéastes belges, une tradition de production «à l’arrachée», spontanée et légère.
Ainsi, partant du postulat qu’il est possible de « faire des films de manière différente, avec une légèreté de production qui, loin de la brider, amplifie la liberté créative », l’ARRF a mis en place en 2007 une structure visant à permettre à des films conçus spécialement pour le low- budget d’être réalisés, tout en rémunérant ceux qui y participent.

Cinéastes Associés apparaît donc de la volonté de promouvoir une manière alternative de faire des films, en y apportant un soutien financier sous forme de subvention allouées à des réalisateurs sélectionnés lors d’un appel à projet annuel ou biennal, et ce pour un ou deux longs métrages à chaque fois.
Cette démarche a pour but de favoriser l’innovation cinématographique, et de faire émerger de nouveaux talents autant que d’offrir la possibilité à des cinéastes reconnus d’expérimenter de nouvelles façons de produire, de nouvelles formes de création, en dehors du contexte au sein duquel ils ont l’habitude d’exercer.
Ainsi, c’est également une manière de favoriser la diversité dans le paysage cinématographique, en ouvrant un espace de « recherche et développement » à l’intérieur duquel les cinéastes peuvent s’épanouir en toute liberté.

Depuis 2007, l’aide octroyée par Cinéastes Associés a permis à cinq longs métrages low-budget de voir le jour.
A noter qu’il n’existe à ce jour en France aucune structure, aide ou subvention spécifiquement destinées aux films à petit budget, bien qu’il arrive au CNC de financer parfois, en aval du tournage, certains de ces films.
En revanche, d’autres pays européens disposent de structures similaires au modèle belge, comme Microwave au Royaume-Uni, New Danish Screen au Danemark, Catalyst Project en Irlande ou encore Rookie en Suède.


LA PLACE DU NUMÉRIQUE

Les avantages des légèretés de coûts et de matériel

L’arrivée du numérique vient remettre en question le « dogme » selon lequel le cinéma ne peut exister sans argent, entendons par là sans beaucoup d’argent.
En effet, le numérique permet dans un premier temps d’acquérir un matériel bien moins coûteux que celui qui l’a précédé. Alors que les réalisateurs tournent depuis des décennies dans la contrainte perpétuelle de l’économie de la bande, la pellicule, très onéreuse, commence à perdre de son attrait, au profit de disques durs sur lesquels il est possible d’enregistrer, d’effacer, de réenregistrer à l’envi.

Par ailleurs, le matériel numérique est bien moins lourd que la machinerie-type d’un tournage en 35mm, et offre donc plus de libertés.
La légèreté d’une caméra numérique par exemple, permet une plus grande liberté dans les mouvements, et par conséquent, dans la prise de vue. Parce qu’elle nécessite également moins de manutention, elle permet d’alléger les équipes, de faciliter les déplacements d’un point à un autre, rendant la réactivité optimale lors d’un tournage. Il devient possible de visionner les rushes quasiment en temps réel, de savoir instantanément quelles prises sont bonnes, lesquelles sont à refaire.

Cette souplesse qu’octroie le numérique est synonyme d’un gain de temps considérable lors d’un tournage, laissant plus de place aux considérations artistiques de l’équipe, et parce que l’un ne va pas sans l’autre, elle permet également de réaliser des économies importantes en comparaison d’un tournage en 35mm.
Du côté de la distribution, le numérique a aussi permis la réduction des coûts, dont peut notamment bénéficier la production à petits budgets.
En effet, le coût des bobines 35mm étant très élevé, la possibilité de faire de multiples copies était alors réservée à ceux qui en avaient les moyens. Mais l’arrivée du numérique vint ébranler ce modèle de distribution : en 2004, Robert Redford annonçait déjà à l’Hollywood Reporter lors du Sundance Film Festival : « on voit apparaître à l’horizon des réseaux alternatifs de distribution, qui vont faciliter la production indépendante. ». La production indépendante, et la production low-budget. Car aujourd’hui, le réseau numérique permet de distribuer à moindre coût, et ce à l’échelle internationale. Alors que le « gonflage en 35 » de certains films tournés en numérique existe encore, pratiqué par les « puristes » partisans de la pellicule, cette habitude commence peu à peu à disparaître, considérant que cette dernière est plus facilement périssable, et quoi qu’il en soit, plus chère que le numérique. Force est de constater que la distribution, un des principaux talons d’Achille du cinéma low-budget, lui est aujourd’hui techniquement accessible au même titre que les films riches.

Le numérique comme passerelle vers une création plus libre

Tout comme dans les années 80 avec le Super 8, les technologies grand public, et donc peu onéreuses, ont souvent été exploitées par les jeunes générations de professionnels, souhaitant s’essayer à plusieurs genres cinématographiques, en toute indépendance, et moyennant des coûts minimums.
Pour le numérique, nous avons connu le même phénomène dans les années 2000 d’abord, avec l’apparition de la mini DV, à laquelle se sont même essayés des cinéastes chevronnés, comme Claude Miller avec « La chambre des magiciennes ».
Depuis, l’outil numérique a évolué, s’est démocratisé et même professionnalisé, à tel point qu’il devient aujourd’hui très rare de tourner sur pellicule.

La légèreté des coûts et du matériel octroyée par cette technologie laisse alors plus de place à la création artistique.
D’une part, en réduisant les coûts, moins d’intervenants sont mêlés au processus de production, intervenants qui viendraient ajouter leurs opinions et leurs exigences, et qui interféreraient avec la vision artistique du trio créatif. Une démarche plus libre est alors possible pour ce dernier, et donc une singularité de l’œuvre produite, imposée par la vision de ses auteurs.
D’autre part, à une époque comme la nôtre, très marquée par la révélation de l’intime, cette technologie, toujours dans cet esprit de singularité des films, permet un cinéma plus introspectif, déjà exploité depuis les années 60 par Jonas Mekas avec son journal filmé. A titre d’exemple, «Le filmeur» réalisé par Alain Cavalier et sorti en 2004, illustre
parfaitement la manière dont le numérique peut être utilisé en faveur d’un cinéma plus personnel : en 1h40, le film retrace 9 ans de la vie du réalisateur, dans les moments heureux comme dans les moments tragiques (la mort de son père) ainsi que dans la perception individuelle d’événements touchant le monde entier (les attentats du 11 septembre). A propos de « Le Filmeur », Jacques Mandelbaum écrit dans l’édition du 14 mai 2005 de Le Monde : « Nulle technologie n'octroie en elle-même un surcroît de talent ou de liberté à ceux qui en sont démunis », message semblant directement adressé aux détracteurs du numérique dans le milieu du cinéma.

Avec le numérique naît également la possibilité d’un cinéma dans les pays émergents, qui ne peut bien souvent se développer qu’avec de petits budget. A ce propos, Humberto Solas, réalisateur cubain, déclare «Si vous produisez des films avec des contributions de deux ou trois autres pays, il vous faut vous soumettre à un processus de domestication. Il vous faut plaire à plusieurs cultures. (...) Moins de compromis signifie plus de libertés pour le réalisateur. ». L’enjeu du low-budget dans les pays pauvres, envisageable grâce au numérique, est de redonner une couleur locale aux productions, loin du produit de masse, formaté pour séduire tous les publics.

Avec les outils numériques, les cinéastes vont dans la direction d’un cinéma plus libre, économiquement, et donc artistiquement. Ils sont parfois prêts à sacrifier une partie du rendu esthétique de leur film contre plus d’autonomie et surtout la réappropriation de leur statut de créateur.



IMPACTS DU LOW-BUDGET SUR LES ŒUVRES PRODUITES


DE LA CONTRAINTE A LA LIBERTÉ

Du point de vue financier

Le low-budget a cet avantage évident sur les grosses productions de ne pas coûter « grand chose» : aussi, il est possible de faire plus de films pour un même investissement. Répondant directement à la « logique du casino » - selon laquelle il y a toujours beaucoup de joueurs mais peu de gagnants – plus il y a de productions, plus les films auront l’opportunité de rencontrer le public.

De plus, le cinéma à petit budget peut se révéler très rentable, et la mise de départ totalement disproportionnée à sa valeur ajoutée.
Les exemples les plus flagrants de ces petits films qui rapportent gros sont américains. Il y a 13 ans, «The Blair Witch Project» rapporta 248 300 000 $ pour un budget investi dans le film de 35 000 $, et plus récemment, en 2009, «Paranormal Activity» qui avait coûté 15 000 $, généra des recettes de plus de 100 000 000 $, et ce seulement au box-office américain.


Ainsi, en prenant le risque de ne pas investir des sommes colossales dans la production d’un film, on peut aussi bien minimiser les risques du « flop » - si le film est un échec, il n’aura au moins pas ruiné son producteur – mais dans certains cas remporter pas loin de 10 000 fois la somme « jouée ».


Le low-budget peut donc s’avérer très lucratif, et ainsi profiter aux petites structures ayant osé le pari, bien que les grands studios s’accaparent eux aussi ce modèle, cherchant à faire toujours plus de profit.

Du point de vue humain

Les budgets maigres ne permettent pas de travailler avec d’importantes équipes, mais c’est cette « contrainte du moins » qui va elle-même offrir une légèreté aux multiples avantages, et les rapports entre réalisateurs, techniciens, comédiens et producteurs s’en voient bouleversés.
D’abord, la communication est rendue plus facile, ce qui permet une gestion du tournage moins hiérarchisée et donc plus collective.
Ensuite il devient possible de passer plus de temps à la direction des acteurs, au peaufinage des moindres détails plutôt qu’à la manipulation des machines. Claude Miller déclare, à propos de « La chambre des magiciennes », long métrage de 2001 tourné à l’aide de deux caméras mini DV : «
700 000 pour 20 jours de tournage. Le film a eu exactement l’économie qu’il lui fallait. Les actrices ont eu de petits cachets. Il y avait parfois plus de monde devant la caméra que derrière. Je me suis aperçu que cette technique légère permet de passer plus de temps à la direction d’acteurs (...) contrairement aux tournages en 35mm.».

Ainsi, en s’éloignant des machines, on se rapproche de l’humain, comme l’on se rapproche de l’art du cinéma en s’éloignant de l’industrie. 





IMPACT DU LOW-BUDGET DANS LA FORME ET DANS LE FOND

Dans la forme


« C’est la caméra qui est devenue plus intelligente au fil des années. Pour mes premiers films, c’était le prix et le poids de la caméra qui commandaient. Le poids : il fallait deux machinistes pour la mettre sur pied. Le prix : il fallait quatre personnes pour la servir, comme un canon. »
Alain Cavalier dans Films à petits budgets : contrainte ou liberté ? Alain Cavalier dans Films à petits budgets : contrainte ou liberté ? 


Il existe un rapport, une articulation entre l’évolution de la technologie et la créativité cinématographique. Le low-budget, de plus en plus porté par le numérique, a donc une incidence directe sur la forme des films.

Tout comme la série B à travers les différents âges du cinéma, avec ses codes esthétiques singuliers, découlant tout droit de sa petite économie – pas de vedettes, acteurs au jeu souvent médiocre, cascades réalisées avec les « moyens du bord » et donc peu crédibles, etc. – la production low-budget que nous connaissons aujourd’hui possède également ses traits visuels caractéristiques.

Ainsi, la qualité de l’image n’égale presque jamais celle des grosses productions: les caméras utilisées sont bon marché, laissant voir un résultat « granuleux », imparfait, mais auquel nombre de spectateurs trouve cependant un certain charme, une certaine chaleur, qui n’est pas sans rappeler le Super 8, utilisé dans les années 80 pour les vidéos de famille notamment.
De plus, le cinéma low-budget, rendu possible par la réduction des coûts au maximum, s’applique à utiliser les ressources qui lui sont disponibles, bien avant de songer à l’achat ou à la location de matériel. Ceci vient alors bouleverser les décors, éclairés autant que faire ce peut à la lumière naturelle, et parfois peu réalistes, car
construits  de manière quasi amatrice, faits de bric et de broc. A titre d’exemple, la chambre d’hôpital dans «Supernova Expérience#1» : il s’agit d’une pièce étroite au milieu de laquelle est disposé un lit d’hôpital et dont les murs sont recouverts de bâches en plastique. Le réalisme est ici mis de côté, d’une part afin de ne pas dépenser d’argent dans la construction d’un décor en studio ou dans la location d’un espace approprié, mais également pour venir soutenir l’atmosphère étrange du film, le sentiment d’étouffement, d’enfermement ressenti par Peyrelevade, le personnage principal (interprété par Philippe Nahon), et le chagrin ou encore la froideur des membres de la famille qui lui rendent visite, traduisant ainsi la représentation que les personnages se font eux-mêmes de cette chambre, plutôt que ce qu’elle est en réalité.


A partir des contraintes budgétaires initiales, des solutions sont trouvées, des « chemins de traverse » pour contourner les difficultés qui, loin de brider l’imaginaire du réalisateur, viennent donner au film une empreinte particulière, unique.

Le jeu des acteurs parfois maladroit, la sous-exposition ou sur-exposition de certaines scènes ou encore le surréalisme de certains décors plongent le spectateur dans une esthétique unique, propre au film, et il en vient à considérer ces petites imperfections comme un parti-pris artistique, lui permettant de pénétrer entièrement dans l’univers singulier duquel on lui ouvre les portes.


Dans le fond


Le cinéma low-budget, parce qu’il n’est pas autant soumis à la dictature de la rentabilité que les grosses productions, parce qu’il n’engage qu’un nombre réduit de personnes ayant des aspirations communes, n’a pas pour impératif de plaire unanimement. Par conséquent, il lui est possible de traiter de tous les sujets librement, même si ceux-ci de font pas consensus, et donc d’être plus engagé à la fois socialement et politiquement.


Comme Chris Marker qui, avec ses « ciné-tracts » durant les mouvements de Mai 68, décida de « mettre le cinéma au service de la révolution », le low-budget peut permettre au cinéma, initialement divertissement populaire, de redonner la voix au peuple. Un cinéma

sans tabou, au service des luttes, pour faire s’exprimer haut et fort ceux qui ne le peuvent pas toujours.

Avant d’être producteur et exploitant, Marin Karmitz était "réalisateur militant". Celui qui, aujourd'hui, se définit lui-même et non sans ironie comme « patron français » était, dans les années 70, un membre actif de l’extrême gauche, de la gauche prolétarienne.

En 1971, Karmitz réalise un fil qui fait trembler le patronat français : entre documentaire et fiction,« Coup pour coup » relate les grèves d’ouvrières du textile à Troyes et St Omer. Le film montre, loin de toute négociation pacifiste, comment ces dernières occupent les usines, et usent de violence, allant même jusqu’à séquestrer leurs patrons. « Coup pour coup » donna à l’époque la parole à ces ouvrières aux conditions de travail déplorables et aux salaires de misère, ces ouvrières qui n’avaient jusqu’alors pas d’autres moyens d’exprimer leur rage et leur contestation que par la révolte. Il n’est pas ici question de prétendre que, sans le cinéma, ces dernières n’auraient pas fait entendre leur voix, mais plutôt de montrer que le cinéma fut présent pour servir leur cause. En effet, le film lui- même, loin de venir apaiser les mentalités, entraîna après plusieurs projections dans les milieux ouvriers de nouvelles grèves dans d’autres usines, et les travailleurs et travailleuses demandèrent alors une meilleure prise en considération de la pénibilité de leur activité.

Plus récemment, c’est le film « Iraq for sale », sorti aux Etats-Unis en 2006, qui vient mettre à nu les affaires peu glorieuses dans lesquelles baignent certaines grandes entreprises américaines depuis la guerre en Irak.
Il fut financé par des internautes, 3 000 personnes qui permirent de récolter en 10 jours les 267 892 $ qui servirent à produire le film.
Son réalisateur, Robert Greenwald, avait déjà auparavant réalisé plusieurs documentaires, pouvant presque être considérés comme antipatriotiques, à propos de la guerre en Irak («Uncovered: The Whole Truth About the Iraq War» en 2003 et «Uncovered: The War on Iraq» en 2004), de l’hégémonie de Rupert Murdoch sur la presse occidentale («Outfoxed: Rupert Murdoch's War on Journalism» en 2004) ou encore des pratiques douteuses de la multinationale de grande distribution américaine Wal-Mart («Wal-Mart : The High Cost of Low Price» en 2005).
«Iraq for sale» montre comment la guerre en Irak profite à plusieurs grandes compagnies privées américaines – Blackwater, Halliburton, CACI International Inc. et

Titan Corp. - qui exploitent la dévastation d’un pays par la guerre, en allant y vendre leurs équipements et leurs services, et ceci avec l’accord plus ou moins tacite du gouvernement américain.
Ainsi, ce film, qui aurait vu toutes ses chances d’être financé par un grand studio quasi anéanties de par sa thématique même, a pu voir le jour grâce au
low-budget.

Le « cinéma de niche », soit à destination d’un public très ciblé et minoritaire, est lui aussi peu financé, et n’est que très rarement produit par de grosses structures.
Ainsi, des films destinés spécifiquement à des communautés trop étroites pour être représentées dans le cinéma grand public, et donc pour être soumis aux budgets colossaux qui sont offerts à ce dernier, n’ont pu exister, du moins dans un premier temps, qu’à travers le
low-bugdet.
La blaxploitation dans les années 70 par exemple, ayant vu le jour au moyen de budgets très réduits et en totale indépendance des majors, fut à l’époque un cinéma fait par des afro- américains pour les afro-américains, au sein duquel ces derniers purent tenir les rôles principaux, et non ceux de personnages d’arrière-plan - bien souvent de domestiques, de musiciens, etc. - auxquels ils étaient jusqu’alors cantonnés dans le cinéma grand public. Plus récemment c’est le cinéma LGBT qui a su exploiter le low-budget, avec notamment dans les années 90 le New Queer Cinema, mouvement indépendant ayant pour thème les identités et expériences LGBT. Cette niche commence cependant depuis quelques années à se populariser et ses financements finissent donc par augmenter.

Le low-budget offre donc plus de libertés dans le choix des thématiques qui peuvent être abordées par les cinéastes, et semble par là constituer une alternative au cinéma formaté des grands studios. 





VERS DE NOUVELLES PRATIQUES, ET DE NOUVEAUX MODELES 




DISTRIBUTION : L’EXEMPLE DU « NOUVEAU MONDE »

Présentation

Peter Broderick est un acteur important du mouvement cinématographique low-budget. Après avoir été président de la compagnie américaine Next Wave Films, ayant pour but de soutenir les réalisateurs indépendants américains et étrangers, il est aujourd’hui directeur de la société Paradigm Consulting, dont la vocation est d’aider les réalisateurs indépendants à développer et à améliorer leur stratégies afin de maximiser la distribution de leurs films, leurs revenus ainsi qu’à toucher un public plus large.

Je vais tâcher ici de présenter ce « Nouveau Monde » de la distribution, concept développé par Broderick, consistant en un nouveau modèle de distribution dite hybride des films indépendants et low-budget, en opposition à ce qu’il appelle le « Vieux Monde », celui que nous connaissons depuis toujours.

Peter Broderick part du constat suivant : peu de réalisateurs sont satisfaits du Vieux Monde de la distribution, sur lequel ils n’ont quasiment aucun contrôle.
Ainsi, il vient à proposer la construction d’un Nouveau Monde, soit d’un nouveau modèle de distribution du cinéma, au sein duquel les réalisateurs – étendons ceci jusqu’au «trio idéal» réalisateur / scénariste / producteur – touchent plus directement leur public, réduisent leurs coûts de distribution et surtout, gardent la mainmise sur leur contenu.

Possibilités dans le Nouveau Monde


Pour comprendre le fonctionnement de ce Nouveau Monde, il revient dans un premier temps de faire état de la situation du Vieux Monde et de la confronter aux solutions qui y sont offertes dans le modèle de Broderick.
Voici la retranscription, en français, d’un tableau comparatif entre le Vieux et le Nouveau Monde, d’après le site web de Peter Broderick :





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Le Nouveau monde représente alors un système de distribution en faveur du ou des créateurs, centré sur le pouvoir décisionnel du réalisateur, que nous étendons dans cette étude au trio réalisateur / scénariste / producteur.


Il propose donc pour le trio un meilleur contrôle de ses œuvres, en lui laissant choisir quels droits il conserve et quels droits il cède à ses partenaires. Au sein du Vieux Monde, c’est bien souvent le producteur lui seul qui décide d’octroyer tous les droits aux distributeurs, le réalisateur et le scénariste n’ayant pas d’influence à ce niveau.

Le Nouveau Monde opte ensuite pour un modèle de distribution hybride, au sein duquel les droits et les accords son divisés, permettant au trio le choix de partenaires différents pour chaque étape : vente à la télévision, dans les salles, etc. Dans l’ancien modèle, les droits sont cédés à une seule compagnie par territoire.


Le trio doit personnaliser ses stratégies, en les adaptant aux contenus des films et à leurs cibles. Il peut également décider d’ignorer la chronologie des medias, quand le Vieux Monde est lui plus rigide et plus conventionnel à ces niveaux.
En effet, alors que les distributeurs essaient directement d’atteindre le public le plus large, la priorité du trio doit être dans un premier temps de toucher un public cible, et une audience plus importante par la suite.

Dans le Nouveau Monde, les coûts peuvent être grandement réduits, notamment grâce à l’utilisation d’Internet pour la promotion des films, alors que les distributeurs de l’ancien modèle se servent toujours majoritairement de la publicité traditionnelle, très onéreuse. Internet permet aussi au trio de réaliser des marges plus hautes en y vendant directement ses films. Les ventes directes peuvent aussi s’effectuer lors des projections. Cette technique permet en outre de se créer une base de données de spectateurs, et donc d’acheteurs potentiels, très utile pour informer ces derniers des futures sorties et des opérations de vente. Dans le Vieux Monde, dès lors qu’un distributeur est engagé, le trio n’est plus autorisé à faire des ventes directes.

Avec le numérique, il devient également plus facile de rendre disponibles les films à l’international, sans se soucier des frontières qui séparent les publics. La distribution traditionnelle est, elle, assurée territoire par territoire, et la majorité des productions ne quitte pas leurs pays d’origine.

Enfin, il est possible, toujours grâce à Internet et parallèlement aux ventes, de toucher le public directement, d’établir de vraies relations avec celui-ci et de se construire alors une audience spécialisée, composée de vrais fans. Dans le Vieux Monde, le trio n’a pas de contact avec ses spectateurs.

Le Nouveau Monde de Peter Broderick repose donc sur la recentralisation du trio dans le système de la distribution, leur redonnant le contrôle à la fois de leurs contenus et des ventes auxquels ceux-ci peuvent être soumis, en étant décisionnaires dans les stratégies mises en œuvres mais surtout en conservant une grande partie de leurs droits sur les films. 




LA DIFFUSION ET LE PUBLIC

Quels circuits pour le low-budget?

Le Nouveau Monde de la distribution, parce qu’il ne respecte pas le schéma établi par l’ancien, voit également le système de diffusion des films bouleversé.
Ainsi, les acteurs du Nouveau Monde ne suivent pas la même voie dans leur approche de la diffusion, qui devient elle aussi hybride et adaptée à la fois au contenu et aux attentes de ces derniers et du public.


Parce que la distribution en salle est difficile, et qu’elle l’est d’autant plus pour un film «marginal», n’ayant pas bénéficié d’un marketing important comme peut l’être celui des grosses productions ou de films dits indépendants mais disposant aussi de budgets colossaux, les acteurs du low-budget doivent se diriger vers des circuits alternatifs de diffusion. D’ailleurs, si certains considèrent la sortie en salles comme désirable, ils ne pensent pas non plus qu’elle soit indispensable à la vie d’un film.


C’est ainsi que trio va dans un premier temps aller vers les festivals.
Alors qu’ils n’obéissent pas au même souci de rentabilité qu’un exploitant de salles, les festivals ont tendance à favoriser la production indépendante et le
low-budget. Ils permettent de gagner en visibilité auprès de la presse et des publics, de faire connaître le film tout en assurant sa bonne – ou sa mauvaise – réputation.
De plus, la présence du trio lors des projections en festivals permet la vente directe de DVD – du film projeté mais également d’autres faisant partie du catalogue ou du même auteur - et de tisser des liens avec le public, en allant à sa rencontre, en recueillant à vif ses sentiments vis-à-vis du film, et ainsi de développer par la suite des stratégies de vente plus personnalisées, mieux adaptées au public cible des œuvres.


Parallèlement aux festivals, il est possible de négocier des contrats pour la diffusion hors-salle, notamment dans le cadre scolaire mais aussi au sein des musées, des bibliothèques, etc. Ces alternatives ne touchent certes pas un public large, mais c’est bien un public attentif, captivé, avec lequel le dialogue peut être établi plus facilement, qui se présente généralement lors de ces projections, raison pour laquelle il demeure très intéressant. Ce mode de diffusion peut en outre générer des revenus significatifs pour le

trio à qui il arrive, en plus de faire des ventes, de se faire rémunérer pour assurer un discours ou une conférence.

Enfin, la diffusion à la télévision est un vecteur que le trio ne doit pas négliger. Il est possible de vendre un film à une chaîne nationale, ou à une chaîne spécialisée, pour un nombre de diffusions et sur un temps limités. S’il n’existe à ce jour que peu de chaînes spécifiquement vouées au cinéma indépendant – bien qu’en France, Arte ait su largement améliorer la visibilité du «petit cinéma» depuis des années - celles qui diffusent des films low-budget sont d’autant plus rares. A ce propos, Claude Miller déclare dans Films à petits budgets : contraintes ou liberté ? : «Aujourd’hui, il y a un problème de diffusion : trop de films sortent chaque semaine. (...) Il faut inventer d’autres circuits de diffusion. Pourquoi pas un jour une chaîne de télévision « art et essai » pour diffuser tous ces films ?». IF Television fait alors figure d’exception dans le paysage télévisuel français actuel et, dans la continuité des propos de Claude Miller, innove totalement en matière de diffusion cinématographique à la télévision. Lancée en 2009 par Dartybox et Freebox, IF Television, signifiant Independent Film Television, est exclusivement dédiée au cinéma indépendant français et étranger. Sa programmation propose chaque jour de nouveaux films inédits, qui ne pourraient certainement être diffusés ailleurs, pariant sur « la qualité des films et non pas sur leur marketing médiatique ».

Des alternatives aux circuits traditionnels de diffusion sont donc possibles pour le cinéma low-budget. Plus adaptées, elles misent davantage sur la créativité et l’intérêt culturel que peuvent présenter ces films que sur leur potentiel commercial.

Le low-budget, pour quel(s) public(s) ?

Nous nous trouvons face à une génération de spectateurs née avec le cinéma, dont les parents et les grands-parents sont nés avec le cinéma.
C’est ainsi que de nos jours, le public appréhende parfaitement les codes du langage cinématographique et leurs significations : ellipses, plans subjectifs, flashbacks, etc. sont
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compris sans le moindre effort, considérés comme des évidences pour des spectateurs qui n’ont plus besoin d’être guidés le long d’une narration linéaire.

On imagine alors aisément que ce public pourrait accepter sans problème plus d’expérimentations, des esthétiques visuelles et des manières plus complexes de raconter les histoires.

Partant du postulat que la bizarrerie est bannie des grosses productions afin de convenir à tous types de publics, le low-budget peut et doit offrir aux spectateurs un nouveau cinéma, des contenus différents, autant de par leur fond que de par leur forme. Et pour être réceptif à ce type d’œuvres, on se figure ce public spécifique comme curieux, passionné, et avide de nouvelles expériences.

Le premier spectateur du
low-budget n’est donc pas un «touriste», mais plutôt un aficionado dont la démarche à la fois élective et qualitative se situe à l’opposé de celle du consommateur type du cinéma de masse.

Les modes de consommation du cinéma viennent alors à changer : puisqu’on propose une autre manière de faire des films, une autre manière de les regarder s’impose d’elle-même.
Le public n’a pas les mêmes attentes face à une grosse production, fabriquée pour plaire au plus grand nombre, que face au
low-budget qui s’adresse au spectateur plus directement, plus personnellement.
Loin du mangeur de pop-corn douillettement installé face à un IMAX, le « consommateur » de cinéma
low-budget est lui éjecté de sa zone de confort, confronté à autant de sujets intimes, tabous ou politiquement incorrects, qui, servis par une autre esthétique, demandent plus d’implication de sa part.


L’acte même d’aller vers ce type de films constitue une alternative, un pas de plus vers cette révolution qui vise à faire sortir le cinéma de son carcan de simple divertissement pour masses afin de lui redonner la statut de danger face à la dictature du capitalisme, du patronat, de l’hétéronormativité, ou de la beauté consensuelle, pour mieux se rapprocher de l’humain, dans toutes ses individualités, sa complexité et son intelligence. 




CONCLUSION

Le cinéma à gros budget, monde de l’art bien rôdé par des décennies et des décennies de fonctionnement, ne s’arrêtera pas.
Et la vocation de cette étude n’est pas de mener une guerre contre ce dernier, mais plutôt de démontrer en quoi il est vital de soutenir le «petit cinéma » presque invisible qui, lui, risque un jour de disparaître.

En effet, le cinéma low-budget, parce qu’il s’est développé selon un modèle spécifique, en marge du cinéma grand public, n’égalera jamais ce dernier. Il semble même difficile de croire qu’il puisse faire partie du même monde de l’art, tant ses « moyens conventionnels de travail » y sont opposés sur nombre de points : rôle des acteurs, thématiques abordées, technologies utilisées, etc. Constituerait-il alors lui-même un monde de l’art à part entière, avec ses propres codes, ses propres schémas ? Selon la conception de Becker, il faut pour qu’un monde de l’art existe, qu’il s’attache un public important, et ce n’est pas le cas ici.


Le
low-budget vit à la frange du cinéma de masse, à la frontière entre le modèle courant et, peut-être, un nouveau monde de l’art à venir, dont il ne ferait pour le moment que dessiner les contours, constituant la prémisse de futurs bouleversements au sein du secteur.

Cette position fragilisante de l’entre-deux implique alors un soutien de toutes parts, parce que le low-budget, indispensable à la création cinématographique, doit toujours exister, et se développer.

Faire des films libres est une nécessité, d’un point de vue à la fois individuel et collectif. D’abord, parce que la créativité ne doit pas être sans cesse limitée par l’aspect rentable de la production, afin de pouvoir se renouveler, de trouver et d’exploiter de nouvelles sources d’inspiration, de s’essayer à des formes différentes et de pratiquer le plus possible. 

Ensuite, parce que le low-budget permet d’assurer la diversité d’un paysage cinématographique qui tend de plus à plus à la standardisation, en lui donnant les moyens de sortir des carcans imposés par le cinéma grand public qui, au bout d’un moment, tourne en rond.


Ce modèle permet aux créateurs de se recentrer sur l’aspect artistique, plutôt que financier, de leurs œuvres.
Dégagé des contraintes économiques liées au modèle industriel, le
low-budget peut être considéré comme un vivier d’expérimentations, un espace « recherche et développement » permettant au cinéma de se dépasser et de se renouveler. Ainsi, en prenant des risques financiers moins importants, il devient possible de raconter des histoires différentes, de manières différentes.


Parce que les innovateurs sont toujours à l’origine des changements dans les mondes de l’art, et que le cinéma semble aujourd’hui avoir besoin d’un nouveau souffle, il est impératif de favoriser le développement du cinéma low-budget, plus particulièrement à l’échelle nationale.
Nous devons nous interroger sur les moyens à mettre en place pour soutenir cette production, en se penchant notamment sur les modèles de nos homologues européens, en Belgique ou au Royaume-Uni par exemple, et permettre à la fois à de jeunes réalisateurs de se lancer dans le long-métrage, et à des cinéastes chevronnés d’expérimenter en parallèle du schéma courant.
Serait-il alors possible que le CNC crée un fond spécialement réservé à la production
low- budget ? Pierre Chevalier envisageait dans son rapport de 2010 sur la fiction française la mise en place d’une « aide à l’écriture de fictions à bas coût horaire », plus précisément concernant la série télévisée. Ne pourrait-on pas imaginer une aide similaire pour la production cinématographique à budget réduit?


Parce que les modes de consommation, les technologies, les mœurs et les préoccupations sociales ne cessent d’évoluer, le cinéma, en tant que divertissement populaire, au sens même de représentation du Peuple, doit lui aussi se métamorphoser. Et parce que le pont reliant un modèle ancien, presque obsolète, à un modèle plus contemporain, plus proche de la société actuelle, peut être assuré par le cinéma low-budget, il faut veiller à ce que ce dernier continue d’exister. 






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